GUILLEMARD Sylvette et Benjamin Lévy, la Quérulence quand le droit et la psychiatrie se rencontrent, Québec, Presses de l’Université Laval, 2023, préface de Christian Brunelle, XVI-154 p.
Résultat d’une expertise en droit et en psychiatrie cet essai sur l’histoire de la quérulence processive s’approprie le sujet sur base de l’interprétation que font les tribunaux judiciaires notamment du phénomène d’engorgement, de harcèlement judiciaire. Il importe de signaler d’entrée de jeu que l’autrice est docteure en droit mais son co-auteur, n’est ni historien, ni psychiatre, et est plutôt formé à la psychopathologie et à la psychanalyse.
L’introduction semble assez loufoque quand elle évoque l’exemple d’une quérulente qui adresse des dizaines de correspondances au Curateur pour régler une affaire regardant la succession de sa mère. Puis un autre qui réclame modestement la propriété de quelques planètes du système solaire. Les quérulents sont des calamités pour les juges mais des cas d’école pour les psychiatres.
Après un détour par la doctrine allemande, citant les aliénistes, les auteurs relèvent la divergence de point de vue sur l’institution en crise et la quérulence processive. L’ouvrage cherche d’abord à décrire la genèse des catégories psychiatriques des plaideurs trop zélés et des plaignants déraisonnables.
La deuxième partie traite de la manière dont les différents ordres juridiques apportent une réponse aux plaignantes pathologiques. Ils sélectionnent les solutions pour encadrer et limiter leur accès aux tribunaux et par la suite donne une approche clinique du trajet de vie de ces personnes.
La quérulence serait née deux fois, en Allemagne et en France où elle est considérée par la psychiatrie et dans les pays du loi commune où le discours juridique s’est approprié le phénomène. La quérulence fut considérée en Allemagne sous la houlette du délire des plaideurs sinon de plaintes infondées et illégales. Le caractère de la quérulence se mêle à celui du délire de grandeur et de persécution selon le psychiatre allemand Johann Ludwig Casper.
Parmi les postulats en vogue au sein de la psychiatrie allemande du XIXe siècle fut celle de considérer que les idées délirantes des plaideurs fous reposaient sur des faits réels : les supposés ennemis désireraient en fait les priver de certains droits sans avoir l’intention d’attendre. à leur vie. Les avis vont aussi dans le sens de faire s’apparenter le délire de persécution à la sureté de soi.
Chez les aliénistes français de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, c’est le délire de revendication et la quérulence processive qui sont mises de l’avant. Avec pertinence les auteurs rapportent la distinction qui fut faite entre les délirants de persécution et les aliénés persécuteurs. Ce couple de concepts fut ensuite supplanté par le délirant de revendication. Paranoïaques, délirants ou aliénés processifs sont les constructions syntagmatiques en vogue à l’époque. D’autres postulents qu’ils ont un caractère bizarre, un égoïsme féroce, un orgueil démesuré, une activité stérile et désordonnée ! La processivité pathologique côté Allemagne était représentée par l’individu désireux d’obtenir plus que sa part de droits de la part de l’Etat.
L’archétype hexagonal, selon Benjamin Pailhas, est l’agriculteur qui lutte contre une menace d’expropriétation. Est-il opportun de parler d’un délire raisonnant de dépossession plutôt que de simple situation anxiogène liée à une situation de vie de dépossession ? Au-delà de ces tentatives de description des pathologies, certains psychiatres s’intéressent à la personnalité des quérulents indiquant par exemple que la processivité pathologique résultant de l’incapacité à complètement abréagir les réponses affectives à des déceptions (Julius Raeke).
L’un des psychiatres qui s’intéresse à la quérulence en a dressé une typologie remarquable. Heinz Dietrich parle de quérulence légale, professionnelle, carcérale, sociale, etc. Cette typologie est pour le moins originale et permet de constater que le phénomène ne se limite pas à la sphère du juridique. En outre il existerait aussi une processusivité normale (névrotique, réactive) et une processusivité pathologique (chronique et psychopathique). Les auteurs n’expliquent pas à partir de quant aux limites de la processivité normale sont dépassées par l’effracteur pour faire basculter la victime dans la processivité pathologique.
Les auteurs rapportent que c’est en Allemagne que la question de la quérulence a été le plus étudiée.
Dans les pays du Loi commune, le portrait des plaignants compulsifs est peu flatteur et tant aux Etats-Unis qu’en Grande-Bretagne des listes sont établies pour bannir des tribunaux ces personnalités belliqueuses. Les auteurs affirment que stigmatiser ou psychiatriser les membres de cette tribu s’opposent à tout un ensemble de valeurs endémiques. En Grande-Bretagne, la solution juridique a été trouvée pour les Vexatious Actions Acts. Dans les pays de Common Law la notion de Vexatious litigeant prime sur les notions de délire de persécution et sur le concept psychiatrique de quérulence. Les auteurs anti-psychiatriques, critiques, sont peu cités (cf. Martin Thomas, p. 31).
Néanmoins psychiatres et juristes s’accordent pour affirmer que l’on ne peut expliquer les cas des justiciables vexatoires en terme de paranoïa quérulente. Mais, poursuivre-ils, on a indiqué que des recherches plus poussées soient faites pour trouver des traitements plus efficaces. Les auteurs font également un bref survol des dispositions contenues dans le Code de procédure civile (Québec) et dans la Loi sur l’accès à l’information du Québec.
À plusieurs endroits ces personnes sont qualifiées d’acariatres, d’entêtées, etc. Il aurait été opportun il me semble de montrer l’autre facette de la médaille, la victimisation multiple dont elles peuvent être l’objet d’une partie, et , d’autre part, le fait que des personnes abusant de leurs droits en réglant en dehors de la justice leurs comptes par des bousculades, des insultes, les intimidations, brefs des violences verbales, qui vont parfois jusqu’à l’homicide. Si la psychiatrie juge que ces victimes sont à la fois délirantes lorsqu’elles recourent à la justice pour dire droit, ou lorsqu’elles se plaignent de complots imaginaires, on ressent bien ici le malaise devant pareille situation. Fait intéressant le profil du quérulent n’est pas seulement l’individu pathologisable ou déraisonnable dans ses démarches, en marge, etc. Certains sont avocats et intentent des recours multiples à la CEDH. (p. 45, p. 81).
Justiciable insatisfait, plaideur vexatoire, conspirationiste, plaideurs abusifs, paranoïaque, plaideur processionnel ou quérulent, revendicateur fou voilà tout autant d’étiquettes qu’utilisent les auteurs pour dénoncer ce qu’ils considèrent être un fléau des temps modernes, en recrudescance dans certaines provinces comme l’Alberta. Les auteurs auraient eu intérêt à commenter les relations avocats/justiciables, la déontologie des avocats, lorsqu’il s’agit par exemple d’expliquer quelles sont les causes qui justifient qu’un justiciable s’autoreprésente, qu’elles sont ensuite les différentes attitudes qui peuvent déplier aux plaideurs abusifs et qui le conduisent à être comme ils sont…parce que le système a des priorités ! Ils les distinguent des grincheux professionnels ou des procéduriers opportunistes.
Les énoncés où les auteurs constatent par exemple que la personne quérulente peut parfois avoir des bonnes raisons de s’adresser au système de justice (p. 97) sont plutôt rares. Certes le portrait des plaideurs quérulents et abusifs est très documenté, mais il omet de voir en quoi les lacunes du système, par exemple dans l’accueil des immigrants. Les auteurs proposent des désignations d’avocat commis d’office afin que l’avocat puisse jeter un regard sur la pertinence d’un recours, puis ils annoncent également la tenue de procès fictif pour laisser aux quérulents la possibilité de s’exprimer.
C’est en fait à la partie 3 que les auteurs s’intéressent aux voyages de vie singuliers des quérulents. Les auteurs attirent l’attention sur un point pertinent en affirmant que les magistrats sont parfois perçus comme des figures salvatrices. Pureté d’intention, blessures, ralliement des paires à leur cause sont des symptômes du quérulent, tous vus encore une fois comme négatif. Or ces fonctionnements ne sont en rien propres au quérulent mais se retrouvent aussi dans toute les familles politiques, les réseaux de solidarité pour une cause, dans les villages, etc. et surtout en dehors de la justice. Les auteurs en vont à donner l’exemple du quérulent justicier qui dans les faits est celui qui se fait justice en dehors des tribunaux (p 109).
L’analyse de la personnalité du quérulent se veut ici axée sur les dimensions psychologiques, entraînant la transition entre le désir de revanche au désespoir. Ce qui manque à cet ouvrage très documenté du point de vue institutionnel c’est d’analyser en quoi les différents acteurs du système qui font partie de la chaîne pénale, juridique ou diagnostiquer ne seraient-ils pas à l’origine, en fonction du profil du justiciable, du développement de la quérulence, si tel avait été le cas, en prenant comme exemple le problème de la déontologie, de la stigmatisation et de la communication entre les différents palliers de la chaîne juridique et diagnostique. Ainsi il s’agit bel et bien d’une dépréciation du justiciable, dans bien des cas on peut supposer que cela est vrai mais dans d’autres cas, qui sont moins étayés par des exemples, le système aurait pu être mis à mal.
Les auteurs s’intéressent aux victimes du quérulent un tant soit peu certes mais condamne en bloc le quérulent à tel point que l’on peu se demander si les erreurs ne sont pas partagées, qu’il ne devrait pas plutôt parler dans certains cas d ‘une absence de légitimité dans le style judiciaire. Difficile de traiter de la quérulence sans s’intéresser avec la même verve aux erreurs judiciaires, à la corruption, parfois elle-même prononcée par les juges.
Si pendant presque tout l’ouvrage les auteurs s’en donnent à coeur joie pour donner une vision somme toute négative du querulent vu du point de vue de l’industrie judiciaire et de la psychiatrie qui lui est corrélaire, leur regard sur la magistrature passe par le biais de classiques de la littérature française, que ce soit La Fontaine, Bossuet par exemple etc. Ils évoquent les procureurs corrompus, les juges incompétents, les avocats véreux ; montrant la richesse syntagmatologique qui génère la perception des acteurs de la justice. Cette partie de l’ouvrage s’appuie sur un corpus français faisant intervenir la dimension internationale de l’essai.
Jean-Nicolas De Surmont