(Dialogue imaginaire entre Reginald Cangé et Elton John, une fiction anthropologique de Yves Lafortune, extrait de son livre « Zafem, textes et expressions » à paraitre bientôt.)
« Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuit et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence. »
Elton : Hey Regy, je viens de t’entendre interpréter la chanson Nikita et je n’en reviens pas ! J’avais même oublié de l’avoir chantée avant toi. C’est une chanson que j’avais écrite de concert avec le parolier Bernie Tapis, elle est sortie sur l’album Ice on fire en 1980. Elle traite de la guerre froide et j’avais pour le choriste Georges Michael. L’histoire est extraordinaire mais toi tu l’interprètes comme un possédé, comme si tu voyais des morts.
Réginald : Oui, oui, bonjour Elton ! Ça fait plaisir, je suis honoré de ton compliment. En effet, je voyais des silhouettes humaines que je croyais vivantes mais si tu dis que ce sont des morts, tu as sans doute raison du haut de ton âge sacré, chez moi seuls les initiés voient les morts-vivants. Cela dit, je sais que je suis Baron, Baron mouillé, Baron samedi et je connais toute l’escorte parce que, aussi, je joue avec les Marassas et parce que je suis un enfant qui a grandi.
Je suis toujours là dans le trait d’union avec Legba ! La barrière est ouverte et je salue tous ceux qui viennent chanter et danser avec mes frères et sœurs haïtiens. Je suis un redoutable Tchovi, dit-on.
Elton : Je dois te dire que j’apprécie particulièrement la façon dont, subrepticement, le sublime se conjugue dans un grand absolu quand tu t’enclenches avec cette partie en créole, cherchant ses mots : « Mwen ta renmen ka pwoteje w, ret avè w… » ou wè mwen pâle kreyòl !
Réginald : Mon collègue chanteur habité par les 21 nations m’avait aussi fait remarquer. Il m’a dit que dans cette partie du texte les divinités de l’amour et de la guerre Ogou Feray et Freda sont à pied-d’œuvre. L’amour s’exprime dans sa quintessence, dans cette volonté acharnée de protéger l’être aimé. Mais je me rappelle t’avoir vu tracer un vêvê de Freda dans une de tes vidéos ou tu parlais à Nikita autour des lettres que tu lui as écrites.
Elton : Tu parles de divinités et tu cite Ogou Feray et Freda. Qui sont ces personnages ? Dis-moi Regy, je t’en prie.
Réginald : Ce sont les divinités de mon terroir qui veillent sur moi et me protègent. Elles m’habitent et m’accompagnent partout où je suis.
Elton : Tu m’as dit tantôt que seuls les initiés voient les morts-vivants, serais-je donc un initié ?
Réginald : Quand tu viens au pays, tu seras le bienvenu. Le père fondateur de la nation l’avait dit. Je n’ai aucun doute que tu es un initié mais il te faudra être reçu au pays parce que tes parents ne sont pas habités par nos loas, « Manman w pa gen lwa, papa w pa gen lwa, lap difisil pou gen gede » Il te faut faire le pèlerinage pour comprendre les mots de passe. Cependant je n’ai pas encore la certitude parce que « manman w pa gen lwa, papa w pa gen lwa, mwen pa wè kijan ou pral gen gede non gran paran. Antouka, se ale pou nou ale wi », tu es vraiment intéressé ?
Elton : Voilà qui aiguise ma curiosité ! Et si je souhaite en devenir un, que dois-je faire ?
Réginald : A la bonne heure, mon cher Elton ! Je te conduirais sur nos routes entrelacées du Sud, je te ferais découvrir mon beau pays. Je frapperai aux portes à la manière, à moi seul connu, pour te faire découvrir notre immense patrimoine culturel. Et comme tu as chanté pour la belle princesse anglaise, tu ressusciterais par ta voix notre adorable reine Anacaona. Oh, je la vois déjà danser avec les sambas !
Elton : Super, c’est vrai. J’avais écrit la musique « bougie dans le vin » pour l’autre et je l’ai chantée pour la princesse, tu en sais des choses toi !
Réginald : De même, en signe de cette grande amitié, nous irons à Léogâne pour chanter sur la tombe de la reine et qui sait, si je frappe très bien à la porte, peut-être que Lumane se réveillera.
Elton : Merci Régi, merci pour l’invitation, j’ai appris des choses, je veillerai à ce que je donne des œufs crevés au passage. Pour le clairin, charge-toi d’en verser.
Réginald : Bienvenue Elton, Bienvenu au pays, sois chez toi.
Elton : Merci de tout cœur, j’y suis, j’y reste !