Lorsque les astronomes étudient la rotation de galaxies lointaines, ils se heurtent immédiatement à une énigme. Les étoiles sont maintenues ensemble par la gravité, ce qui les empêche d’être projetées dans l’espace intergalactique lors de la rotation des galaxies. En effet, les astronomes peuvent calculer la gravité en fonction de la masse des étoiles qu’ils peuvent voir.
Le problème est que les parties les plus éloignées de ces galaxies se déplacent trop rapidement. Il ne semble pas y avoir suffisamment de masse pour empêcher ces étoiles de s’envoler.
Le fait que cela ne se produise pas est l’un des grands mystères de la cosmologie moderne. Une certaine force doit maintenir les galaxies ensemble, mais les astronomes ne savent pas d’où elle vient.
Leur meilleure hypothèse est que les galaxies doivent être remplies de matière qu’ils ne peuvent pas voir et qui exerce une force gravitationnelle sur ce qu’ils peuvent voir. Et la recherche de cette matière noire est l’une des grandes entreprises de la science moderne. Mais malgré des années de recherche et d’expériences coûtant des milliards de dollars, personne n’a observé directement la matière noire.
Puzzle cosmique
Mais il y a une autre explication. Dans les années 1980, un physicien appelé Mordehai Milgrom a suggéré qu’à l’échelle galactique, les lois du mouvement de Newton pourraient être subtilement différentes de celles observées sur Terre. Et que ces dynamiques newtoniennes modifiées ou MOND pourraient fournir le punch gravitationnel supplémentaire pour maintenir les galaxies ensemble au lieu de la matière noire.
Mais comme pour la matière noire, peu de preuves ont émergé pour étayer cette idée. Diverses études ont examiné la manière dont MOND pourrait influencer les orbites d’objets lointains, comme Pluton ou encore les vaisseaux spatiaux Pioneer et Voyager, mais sans résultats encourageants. Et de nombreux astronomes n’aiment pas cette idée car il s’agit d’un changement essentiellement arbitraire de la dynamique newtonienne.
Pour cette raison, alors que la controverse sur la dynamique newtonienne modifiée par rapport à la matière noire va et vient, les astronomes ont tendance à privilégier l’idée de la matière noire.
Mais cela pourrait maintenant changer grâce aux travaux de Jonathan Oppenheim et d’Andrea Russo de l’University College London, qui ont compris pourquoi l’idée MOND de Milgrom pourrait être vraie après tout. Cela donne à MOND une base théorique qui augmentera son attrait pour les astronomes et les physiciens.
Le nouveau travail est basé sur une idée avancée par Oppenheim il y a plusieurs années pour concilier l’incompatibilité entre deux des grands fondements de la physique moderne : la mécanique quantique et la relativité générale.
La mécanique quantique régit le comportement de l’univers aux plus petites échelles, tandis que la relativité opère aux plus grandes échelles. Mais le caractère de ces théories est totalement opposé, la mécanique quantique suggérant que l’univers est de nature probabiliste tandis que la relativité implique qu’il est entièrement classique.
Cela pose un dilemme lorsqu’il s’agit d’élaborer une théorie de la gravité quantique, un dilemme que les physiciens doivent encore résoudre.
L’idée d’Oppenheim est que la relativité est classique mais fondamentalement stochastique, ce qui signifie qu’elle a un caractère aléatoire, un peu comme le mouvement brownien, le mouvement aléatoire d’une particule en suspension dans un fluide. Cela permet de combiner la mécanique quantique et la relativité d’une manière mathématiquement compatible.
L’une des conséquences de cette nouvelle approche est qu’à l’échelle humaine, la gravité est entièrement newtonienne, tout comme l’observent les physiciens. Mais une autre raison est qu’à l’échelle galactique, l’accélération due à la gravité peut varier dans une mesure faible mais aléatoire, comme si l’espace-temps provoquait une sorte de mouvement brownien sur les masses qu’il contient. C’est cette nature stochastique de l’espace-temps qui génère la force gravitationnelle supplémentaire qui maintient les galaxies ensemble.
« Nous montrons que ce comportement stochastique conduit à une modification de la relativité générale aux faibles accélérations », expliquent-ils. « Dans le régime de faible accélération, la variance de l’accélération produite par le champ gravitationnel… agit comme une force entropique, provoquant un écart par rapport à la théorie de la relativité générale d’Einstein. »
Que la force
En d’autres termes, la force entropique agit comme s’il s’agissait d’une matière supplémentaire. « La force entropique entraînée par une constante cosmologique stochastique peut expliquer les courbes de rotation galactique sans avoir besoin d’évoquer la matière noire », concluent-ils.
La similitude avec l’idée de Milgrom n’échappe pas à Oppenheim et Russo. En effet, ils montrent que leur idée produit des prédictions similaires à celles de Milgrom. Et plutôt que d’être une modification arbitraire de la dynamique newtonienne, la nouvelle théorie est une conséquence nécessaire de la combinaison de la relativité et de la mécanique quantique dans un cadre unique.
Il s’agit d’un travail intéressant avec un potentiel important pour de futures expériences qui testeront la nature de la dynamique newtonienne.
Mais Oppenheim et Russo appellent à la prudence. Ils soulignent qu’il existe d’autres raisons, au-delà de la rotation galactique, qui suggèrent l’existence de la matière noire. Par exemple, la masse gravitationnelle des galaxies lointaines agit comme une lentille en courbant la lumière lorsqu’elle passe. Et l’ampleur de cette courbure suggère que la matière noire doit contribuer à cette masse.
Oppenheim et Russo affirment qu’avant que leur idée puisse gagner du terrain, elle doit être étudiée plus en profondeur, notamment en simulant le mouvement brownien de l’espace-temps et ses effets sur la masse.
Cela offrira de belles heures de travail aux astronomes. Cela pourrait s’avérer moins heureux pour les expérimentateurs qui ont dépensé des milliards pour rechercher des preuves de la présence de matière noire ici sur Terre.
Réf : Contribution anormale aux courbes de rotation galactique en raison de l’espace-temps stochastique : arxiv.org/abs/2402.19459