Dans l’appartement de la réalisatrice Mona Achache, au dernier étage d’un immeuble du quartier de la Nation, à Paris, les plantes vertes donnent l’impression d’une serre accueillante. Un gros chat ronronne sur une chauffeuse, il fait bon. La réalisatrice de 42 ans, mère de trois enfants (deux filles de 22 et 17 ans, et un fils de 9 ans), a passé une vie à mettre à distance une enfance et une histoire familiale marquée par le traumatisme et une certaine perversion artistique .
Cette histoire, elle la raconte dans Petite Fille Bleue (le 15 novembre en salle), un film expérimental et attaché, à l’intersection de la psychanalyse, du documentaire et de la fiction. À partir d’archives photographiques et audiovisuelles retrouvées à la mort, en 2016, de sa mère et de fragments de sa propre mémoire, Mona Achache y met à plat son « besoin de comprendre ». Comprendre ce qui a rendu sa mère, Carole Achache, si malheureuse, pourquoi sa grand-mère, Monique Lange, a choisi de livrer sa toute jeune fille aux mains de son grand ami Jean Genet, qui la « cassa »et comment les grands artistes peuvent être aussi des êtres humains si brutaux.
Quand Mona Achache évoque la mort de sa mère, elle dit : « Elle s’est suicidée en 2016, un avant #metoo. » Avant que Vanessa Springora et Camille Kouchner ne parlent à livre ouvert, Carole Achache avait elle aussi écrit un livre, Fille de (Stock, 2009), racontait son enfance auprès de sa mère. Employée chez Gallimard, elle-même autrice, Monique Lange adorait les artistes. Elle les recevait et les cajolait, cherchait leur amitié, stimulait leur créativité. Violette Leduc, Albert Camus, Marguerite Duras, Florence Malraux, Jacques Rouffio, Claude Sautet ou Jorge Semprún étaient ses intimes. Elle cosigna des scénarios pour Roberto Rossellini, Joseph Losey et Henri-Georges Clouzot, et adora toute sa vie Jean Genet, jusqu’à lui laisser le loisir de s’approcher bien trop près de sa fille unique.
Des abus qui passaient pour des gages de liberté
« Vers 11, 12 ans, ma mère devenait une jeune femme, mais demeurait assez androgyne pour pouvoir intéresser Jean Genet et son amoureux de l’époque, explique Mona Achache. Ma grand-mère tira une fierté absolue de l’idée que sa fille soit l’élue de ce grand écrivain homosexuel qu’elle adorait. » « Élue », la jeune Carole se trouve « manipulée, poussée dans ses retranchements » par l’auteur de Notre-Dame-des-Fleurs (1943). Lui vantant le sublime d’une vie en marge, il exerce sur elle une entreprise mortifère : à 18 ans, Carole part pour New York, où elle se prostitue un temps, goûte à la drogue, côtoie le gouffre. Quand, de retour à Paris, elle entreprend de se sauver et enfile le costume d’épouse et de mère de famille, Jean Genet la sabre : « Tu te banalises », lui écrit-il dans une lettre.
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