En explorant les effets du sport sur la mémoire, des scientifiques de l’UNIGE ont découvert des mécanismes compensatoires dans le cerveau de jeunes individus présentant un risque génétique de développer la maladie d’Alzheimer.
Les bienfaits de l’activité physique sur la santé sont largement reconnus, et ceux sur les capacités cognitives sont de plus en plus connus. Il peut toutefois y avoir des exceptions. En étudiant les effets du sport sur la mémoire de jeunes adultes présentant une variation génétique augmentant le risque de maladie d’Alzheimer, des neuroscientifiques de l’Université de Genève (UNIGE), en collaboration avec les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et l’Université de Lausanne (UNIL), ont révélé que ces individus à risque ont une moins bonne mémoire associative, contrairement aux personnes ne présentant pas cette mutation génétique. Ces découvertes, publiées dans la revue Cerebral Cortex, mettent également en lumière les mécanismes cérébraux compensatoires chez ces jeunes adultes, qui ne présentent aucun symptôme clinique de la maladie.
Lors d’un effort physique, l’organisme produit de petites molécules appelées endocannabinoïdes, qui déclenchent une sensation de bien-être et activent l’hippocampe, une zone du cerveau qui joue un rôle crucial dans la mémoire et la navigation spatiale. Les neurones de cette zone du cortex sont les premiers à dégénérer au cours du développement de la maladie d’Alzheimer.
Le Dr Kinga Igloi, chercheuse associée dans le groupe du professeur Sophie Schwartz au Département de neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine et au Centre de neurosciences de Genève de l’UNIGE, étudie les effets de l’exercice physique sur la mémoire.
Dans une étude précédente, ses travaux ont montré qu’une séance de 30 minutes de sport d’intensité modérée améliorait la capacité de mémoire. Dans la présente étude, les chercheurs voulaient savoir si les bienfaits du sport sur la mémoire étaient également présents chez les individus jeunes et en bonne santé présentant un risque génétique accru de développer la maladie d’Alzheimer. Ces personnes, comme 20 % de la population, sont porteuses d’une variation du gène APOE qui augmente de trois à douze fois le risque de maladie d’Alzheimer et, si la maladie se développe, avance son apparition de près de 15 ans (à environ 68 ans, contre 84 ans pour les personnes non porteuses de cette mutation).
Une différence significative dans les tests de mémoire
Les scientifiques ont demandé à 50 individus âgés de 18 à 25 ans sans déficit cognitif d’effectuer une tâche faisant appel à leur mémoire déclarative, qui correspond à la mémoire d’événements personnels (que j’ai rencontré hier) ou à la culture générale (quelle ville est la capitale de la Suisse), et qui dépend de l’hippocampe. Les volontaires ont été invités à apprendre une série d’images, puis à faire du vélo pendant 30 minutes à vitesse modérée ou à se reposer pendant 30 minutes.
Enfin, leur mémoire a été testée en leur demandant de se souvenir de l’ordre dans lequel ils avaient vu les images précédemment. La moitié des volontaires étaient porteurs de la variante à risque du gène APOE, tandis que l’autre moitié formait le groupe témoin. Des images IRM du cerveau ont été prises pendant les phases d’apprentissage et de restitution pour visualiser l’intensité de l’activation hippocampique. Des échantillons de sang ont également été prélevés pour mesurer les niveaux d’endocannabinoïdes.
« À notre grande surprise, le groupe à risque n’a pas aussi bien performé que le groupe témoin dans cette tâche de mémoire, aussi bien après une séance de vélo qu’après une phase de repos », explique Kinga Igloi.
Surcompensation cérébrale
Chez les individus du groupe témoin, la performance post-exercice s’est accompagnée d’une activation accrue de l’hippocampe – la région cérébrale cruciale pour la mémoire – et d’une augmentation des taux d’endocannabinoïdes dans le sang. En revanche, chez les individus à risque, les mesures IRM de l’activité cérébrale ont révélé une hyperactivation des neurones hippocampiques dans toutes les conditions de test. « Cette observation suggère la présence de mécanismes physiologiques d’adaptation ou de compensation. Leurs cerveaux mobilisent davantage l’hippocampe pour atteindre des scores de mémoire inférieurs ou similaires à ceux du groupe témoin », explique Sophie Schwartz.
Les scientifiques poursuivent désormais leurs études comportementales et d’imagerie cérébrale pour comprendre si différentes tâches impliquant d’autres types de mémoire nécessitent également une surcompensation neuronale chez les individus à risque, même lorsqu’ils sont jeunes.
« Cependant, même si nos résultats montrent une absence d’effets du sport sur la mémoire chez les individus à risque, ils ne doivent pas remettre en cause les effets bénéfiques de la pratique sportive sur la plasticité synaptique générale. Pour tous les individus, qu’ils soient ou non à risque de développer la maladie d’Alzheimer, l’exercice physique reste bénéfique pour la santé neuronale et cognitive tout au long de la vie », concluent les auteurs.