LLe vendredi 23 août 2024, à la Villa d’accueil, le Conseil présidentiel de transition (CPT) a installé les membres du Comité de pilotage de la conférence nationale. Il est évident de rappeler la genèse de cette idée de conférence nationale qui voulait être un nouveau contrat social c’est-à-dire un grand pas pour se mettre ensemble afin de trouver des solutions concrètes et durables aux problèmes du pays.
C’est l’ancien député Turneb Delpé, dirigeant du Parti National Démocratique Progressiste d’Haïti (PNDPH), véritable promoteur de l’idée de Conférence nationale en tant qu’un instrument de combat pour changer les régimes politiques existants. Depuis lors, dans tous les couloirs politiques, même les corrompus de la classe politique traditionnelle ne cessent de le paraphraser allant même jusqu’à ajouter au thème Conférence nationale, l’adjectif « Souveraine » une façon sans doute de se démarquer de la tutelle de l’empire américain.
Dans la mouvance politique de 2002, Jean Wilberson Timothée, secrétaire exécutif du Collectif pour la Conférence Nationale Haïtienne Souveraine (CNHS) soulignait dans un document de référence du Collectif titre ABC de la Conférence Nationale haïtienne souveraine, dans lequel on pouvait lire : « Que faut-il entendre par Conférence nationale ? Lieu de rencontres de tous les secteurs de la vie nationale et des représentants des pouvoirs de l’Etat, de l’administration publique, des différents départements géographiques du pays et de la diaspora pour un débat structuré sur l’ensemble des crises structurelles, institutionnelles et conjoncturelles du pays dans la perspective d’un nouveau Pacte social, la Conférence Nationale est porteuse. C’est une dynamique. Une vision. Une projection sur l’avenir qui pourrait présenter Haïti autrement. Ils ont dit « Conférence nationale haïtienne souveraine » ? La Conférence Nationale sera organisée par les Haïtiens et entre les Haïtiens. Elle sera de surcroit souveraine. La nature même de son organisation lui conférera ce caractère. Mieux: les résolutions qui en résulteront s’imposeront d’autorité à l’Etat Haïtien et au peuple haïtien. » Quel souhait !
Sur les antennes de la Radio Galaxie, le 24 janvier 2005 sur cette même notion de Conférence Nationale, Turneb Delpé lui-même avait insisté que son parti « Le PNDPH veut rappeler à tous les Haïtiens qu’une conférence nationale est la dernière chance pour qu’Haïti soit sauvée afin que certains pays de la communauté internationale ne trouvent pas le prétexte ultime qu’ils recherchent pour montrer que nous sommes des incompétents et nous faire à nouveau tomber sous la domination d’un pays étranger, comme on en parle aujourd’hui dans de nombreux médias étrangers. Cela veut dire que nous ne pouvons pas oser laisser passer cette dernière chance en laissant le gouvernement Alexandre-Latortue entraîner le pays dans une confusion qu’il veut appeler au dialogue national. » Les idées qu’il adressait à la classe politique traditionnelle seraient de sorte qu’elle relève la tête devant les pays qui dominent Haïti pour qu’enfin ce soit le peuple qui décide de son avenir.
Malheureusement, c’est le contraire qui est en train d’être charpenté avec le Conseil présidentiel mis en place par les puissances tutrices pour renforcer leurs desiderata et défendre leur intérêt politique. Il est clair que le régime de facto en place n’est pas gouverneur de son destin politique. Cela indique que tout ce qu’il entreprendra aura le sceau du colonisateur car ce régime est l’allié objectif de l’impérialisme le plus vil, le plus dépendant, le plus soumis de tous les temps.
Le Comité de pilotage de la conférence sera chargé entre autres : « de réviser la Constitution de 1987 en vigueur ; d’élaborer un nouveau projet de société, et également d’établir de nouvelles relations entre l’État et la société haïtienne. » Les membres de ce Comité de pilotage de la Conférence nationale nommés ultérieurement par arrêté le 25 juillet 2024 ont été installés par le Conseil présidentiel. Ce sont: l’ancien Premier ministre Monsieur Enex Jean-Charles, président; Monsieur Joram Vixamar, membre ; Monsieur Amary Joseph Noël, membre ; Monsieur Pierre Antoine Louis, membre ; Madame Norah Jean François, membre ; Madame Widline Pierre, membre ; Monsieur Gédéon Charles, membre et Madame Christine Stephenson, membre. Cette dernière avait décliné sa nomination, mais on ne l’a pas encore remplacé à ce que nous sachions. Ne sont-ils pas les mêmes laquais au service de la domination impérialiste du pays ?
Cette conférence nationale qui avait fait naître tant d’espoirs dans la population haïtienne. On avait même ajouté à dessein l’adjectif « souveraine » pour le canaliser dans le sens des aspirations populaires pour se débarrasser une fois pour toutes de la domination impérialiste. Ce n’est pas par hasard que l’ambassadeur américain M. Dennis H. Hankins et M. Sidi Diawara du Burkina Faso se sont réunis avec le Premier ministre Garry Conille, le jour après leur installation pour rassurer au Premier ministre l’orientation politique du comité de pilotage de la Conférence Nationale.
En somme, l’idée de conférence nationale comme le rêvait Turneb Delpé qu’on avait surnommé « Monsieur Conférence Nationale » a été justement kidnappé par les agents des puissances dominantes pour être détournée et désorientée. C’est cette même confusion que Delpé dénonçait en 2005, que le Conseil présidentiel veut s’insinuer dans le pays aujourd’hui. Pire, il n’utilise pas le concept dialogue national mais bien Conférence nationaleune manœuvre tendant à tromper la vigilance du peuple.
Lors de l’installation des membres du Comité de pilotage de la Conférence Nationale, le président du Conseil présidentiel Edgar Leblanc Fils a parlé dans l’abstrait sans aucune substance de changement de cap « la tâche à laquelle vous assistez est à la fois laborieuse et noble. Je compte sur votre patriotisme pour lequel aucun sacrifice n’est trop grand, pour mener à bien les travaux de la conférence nationale qui ouvrea la voie à un nouveau départ pour notre pays », il fait savoir.
D’ailleurs, quelle crédibilité va-t-on faire au projet de Conférence nationale, quand l’une des personnalités qui installaient les membres du Comité en l’occurrence le conseiller présidentiel Smith Augustin est soupçonnée de graves actes de corruption ? Lui qui dans son discours de circonstance a déclaré que « la conférence nationale, que ce Comité de pilotage a pour mission de guider, représente un dispositif participatif exceptionnel où chaque acteur, chaque association, chaque organisation, chaque mouvement et chaque groupe d’intérêt sera habilité à débattre des problèmes fondamentaux du pays en vue d’une meilleure organisation de la société et d’un meilleur fonctionnement de l’État»
Rien à espérer de cette fuite du Conseil présidentiel sous la houlette de l’impérialisme américain. Quant à l’avenir, rien ne changera dans la mesure où se sont les mêmes mentalités de soumission, de courbettes face à l’impérialisme qui continueront leur funambulerie traditionnelle. Il ne saurait y avoir de changement sans tout d’abord poser le problème de la domination impérialiste plus que centenaire qu’il faut éradiquer en s’attachant aux distinctifs de libération nationale du peuple haïtien.
Nous pouvons déjà avancer que systématiquement, ce projet de conférence nationale kidnappé ne sera pas souverain c’est-à-dire anti-impérialiste et n’accouchera rien de positif pour les masses populaires puisqu’il est détourné et sera justement dominé par les mêmes exploiteurs, les mêmes agresseurs et bourreaux du peuple haïtien au service du système capitaliste.