Résumé : L’insécurité s’aggravant et l’accompagnement en matière de santé mentale restant en-deçà des besoins, des volontaires tentent d’aider les jeunes haïtiens à faire face à l’instabilité.
Signature du journaliste : Anne Myriam Bolivar, GPJ Haïti
Légende des photos : Face aux gangs rivaux, des milliers de familles ont dû abandonner leurs maisons et s’installer dans des camps de fortune comme ce centre sportif dans la capitale haïtienne de Port-au-Prince.
Crédit photo: Anne Myriam Bolivar, GPJ Haïti
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« Cet article a été initialement publié par Global Press Journal »
PORT-AU-PRINCE, HAÏTI : Début juin, Jean Ronald Duperval a été contraint de fuir sa maison en feu sous la menace d’une arme. Des gangs rivaux faisant du porte-à-porte en plein jour, son quartier de Port-au-Prince, capitale d’Haïti, s’est vidé de ses habitants.
« Ces moments reviennent souvent dans ma tête », confie Jean, 12 ans, en se remémorant les cadavres qu’il a vus joncher le sol. « C’est un peu dur d’en parler ».
En Haïti, la santé mentale est généralement mise sur la touche. En 2017, Haïti comptait moins d’un psychiatre ou d’un psychologue pour 100 000 personnes et on n’y enregistrait aucun pédopsychiatre, lit-on dans un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé. Et pourtant, la recrudescence de la violence des gangs armés cette année a mis en lumière le traumatisme qui fait des enfants sa proie en raison de l’entassement de leurs familles dans des camps de déplacés.
Des volontaires tentent de combler le vide chronique qui existe en matière de soins psychologiques. Dans un centre sportif transformé en abri à Carrefour, une banlieue dans la fête ouest de Port-au-Prince, ils organisent des séances hebdomadaires de jeux, d’art et de contes regroupant plus de 400 enfants. Il s’agit d’une tentative de soutien aux jeunes à l’heure où le nombre d’entre eux se plaigne d’insomnie, d’anxiété et de cauchemars.
« Les enfants ont vécu un drame, mais tout n’est pas perdu, (car) il ya de l’espoir », assure Lucinda Laguerre, coordinatrice du Mouvement des Femmes visionnaires d’Haïti (MOFAVIDA), un groupe de femmes de longue date qui, cette année, s’est penché sur les enfants et la santé mentale.
Depuis début juin, une vingtaine de volontaires du MOFAVIDA, dont deux psychologues, se sont occupés des jeunes dans le camp de fortune. Autrefois serviteur d’espace de tournois de volley-ball, un auditorium caverneux est aujourd’hui bondé d’environ 300 familles. Et leurs matelas et eaux d’eau y sont vus alignés côte à côte.
Hébergé dans ce centre avec sa famille, Jean affirme que ces ateliers lui ont permis non seulement de se faire des amis, mais aussi de se sentir « moins seul ». Toutefois, il cherche désespérément à retourner chez lui. « Vivre ma vie d’avant, c’est tout ce que je demande. Mon quartier et mes amis me manquent ».
Le ministère de la Santé publique et de la Population n’a pas voulu s’exprimer sur ce sujet. Plus tôt cette année, cependant, René Domersant Jr, responsable de la cellule de santé mentale dans ce ministère, a confié à Global Press Journal que le gouvernement reconnaît les carences de l’offre de soins de santé mentale en Haïti. « La santé mentale est certes négligée en Haïti. On n’y investit pas assez, mais on fait des plaidoyers pour avoir le minimum afin de l’améliorer », at-il fait savoir à l’époque.
On arrive même à éprouver des difficultés à satisfaire les besoins de base dans les camps exigus. Selon Jude Edouard Pierre, maire de Carrefour, la situation est particulièrement grave pour les enfants. « Nous ne pouvons pas accepter que les enfants se baignent et dorment à côté des adultes », s’insurge-t-il. « Il faut que l’État réagisse ».
Mais on a constaté peu d’intervention de la part de l’État en Haïti, pays où les services publics ont été déraillés en raison des années d’instabilité politique et de catastrophes naturelles. En période de crise, le pays reste toujours largement tributaire de l’aide internationale et des organisations non gouvernementales.
Avec l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet, ce pays caribéen de 11 millions d’habitants s’est vu renouer de nouveau avec la vacance du pouvoir et sombrer dans un nouveau chaos. Publié en juin, un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies révèle que quelque 95 gangs sont actifs à Port-au-Prince. Les affrontements sont devenus aujourd’hui quasi quotidiens entre des gangs rivaux ont contraint des milliers d’Haïtiens à abandonner leurs domiciles.
En août, le Premier ministre Ariel Henry a déclaré que le pays avait besoin d’environ 800 000 dollars pour reloger les familles déplacées. Au moment de la mise sous presse, peu d’entre elles avaient été déplacées du centre sportif de Carrefour. Lors d’une émission télévisée fin octobre, Ariel Henry a également tenté de rassurer les Haïtiens en affirmant que son gouvernement sévit contre les gangs. Pourtant, la violence n’a cessé de sévir.
En avril, la guerre des gangs a poussé le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) à éviter que les enfants soient devenus de plus en plus la cible des gangs armés. Entre septembre 2020 et février 2021, lit-on dans son rapport, le nombre d’enfants et de femmes victimes d’agressions sexuelles qui auraient été attribuées à des gangs criminels a augmenté de 62 %. Au nombre de ces incidents figuraient des meurtres, des blessures, des violations et des enlèvements.
Au centre sportif de Carrefour, Gutenberg Destin, coordinateur de la protection civile au ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales, aide à gérer le travail des agences humanitaires. Gutenberg Destin, lui-même volontaire, affirme que les enfants « ont un certain apaisement ». Mais il attire l’attention sur les problèmes qui se profilent à l’horizon. La plupart des écoles devaient rouvrir en octobre, mais beaucoup d’entre elles ont été obligées de fermer à leurs nouvelles portes en raison des combats quotidiens. Aussi les familles doivent-elles être relogées avant que l’on ne puisse affecter leurs enfants à de nouvelles écoles.
Ayant frappé en août, le séisme de magnitude 7,2 sur l’échelle de Richter a apporté son nouveau lot de problèmes au grand barrage des Haïtiens dont plus de la moitié, selon les estimations, vit sous le seuil de pauvreté fixé par la Banque mondiale. Le financement et la coordination par le gouvernement faisant défaut, plusieurs personnes dépendent des dons et des bénévoles. Mais, selon Pierre – maire de Carrefour – les dons commencent à diminuer.
L’Institut de recherche et de protection sociale du gouvernement n’a pas répondu à notre demande de commentaire.
Les jeunes affectés par le conflit en cours présentent généralement des symptômes d’insomnie, d’anxiété et de difficultés à s’exprimer, explique Charlesson Talleyrand, psychologue à l’Organisation des Cœurs pour le Changement des Enfants Démunis d’Haïti, une organisation caritative qui s’occupe des enfants dans la fête ouest de Port-au-Prince.
« Deux à trois séances (de counseling) ne suffisent pas pour les aider à surmonter cette situation », conseille-t-il. « Ils doivent bénéficier d’un suivi psychologique ».
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