LOS ANGELES — Il n’est pas nécessaire d’être diplômé en art pour comprendre que le contexte change de sens. Bien que les défis liés à la vie d’artiste, où qu’ils soient, méritent d’être discutés et que créer de l’art ne soit pas une compétition pour savoir qui a l’histoire la plus triste, il y a quelque chose de presque miraculeux dans la profondeur émotionnelle et la résonance visuelle des œuvres d’art réalisées dans les circonstances les plus insondables. De telles circonstances constituent la toile de fond de l’exposition actuelle à la Galerie Lakaye, L’art assiégé : Lesly Pierre Paul et les étudiants de son école d’art New Visionvisible jusqu’au 11 mai.
L’artiste Lesly Pierre Paul est originaire du quartier de la Grand Rue à Port-au-Prince, en Haïti, un quartier artistique historique connu également pour sa pauvreté et sa production créative. Sans formation formelle, il a commencé à faire de l’art à l’âge de 19 ans, bâtissant lentement sa réputation en exposant localement et internationalement. En 2017, il décide de profiter de son succès pour redonner à sa communauté en fondant le École d’art Nouvelle Visionune organisation à but non lucratif qui se tourne vers les arts pour perpétuer les traditions locales et garder les enfants du quartier à l’écart des gangs.
Haïti est depuis longtemps aux prises avec le règne des gangs, une situation qui a récemment atteint «apocalyptique» proportions, alors que les deux plus grands gangs du pays, le G9 et le GPep, se disputent le pouvoir politique dans un pays actuellement n’a pas d’élus et une force de police largement sous-équipée. Associée à une crise de malnutrition et à une quasi-absence de garantie d’une quelconque forme de sécurité, sans parler des perspectives d’emploi, l’implication dans les gangs semble offrir le seul semblant de stabilité pour de nombreux Haïtiens. Pourtant, dans une double contrainte morbide, rejoindre un gang garantit la participation à des formes extrêmes de violence et comporte un risque élevé de mort.
Le sentiment d’impuissance qui en résulte pour beaucoup est clair dans l’exposition, qui rassemble le travail de Pierre Paul et celui de ses élèves. Dans son « Queen Elizabeth in Meeting with Baron & Legba in Dark World » (2024), par exemple, la reine Elizabeth II, métonyme mondial de la domination coloniale, est réinventée sous la forme d’une femme noire peinte de couleurs vives et portant un sac à main Louis Vuitton. Entre Baron, un Loa vaudou lascif qui accueille les mortels dans l’au-delà, et Legba, un Loa qui sert d’intermédiaire entre l’humanité et Dieu, le tableau souligne le pouvoir démesuré que l’élite mondiale détient sur la vie et la mort. Pourtant, le regard vide de la reine suggère qu’elle et ses collègues dirigeants ne sont pas conscients, ou peut-être même indifférents, des répercussions de leurs actions sur ceux qui leur sont redevables.
De nombreuses peintures parlent de l’importance de l’amour à des époques politiquement tumultueuses et associent les symboles de la vie à ceux de la mort. Dans « Loyal Love » (2023), Pierre Paul représente un squelette masculin présentant son cœur à un squelette féminin alors qu’ils président un cimetière rempli de pierres tombales et de fleurs en pleine floraison. Ce thème se poursuit dans « Baron & Brigitte in the Universe » (2024) de Kervens Chavannes, étudiant à la New Vision Art School, qui se déroule également dans un cimetière. Le baron se tient aux côtés de son épouse, Maman Brigitte, une puissante Loa associée à la justice dont les origines sont liées à la déesse celtique Brigid. Un autre tableau d’un couple de Pierre Paul, « Loyal Love in Their Universe » (2024), représente des amoureux portant des couronnes royales et tenant une pancarte « Black Lives Matter ». L’accent mis sur la loyauté dans ces peintures traduit l’importance que revêtent les relations intimes d’une personne lorsque vous assurez, littéralement, la survie de l’autre.
Bien que la beauté et le talent artistique des peintures ci-dessus soient frappants, certaines des œuvres les plus brutes et viscérales réalisées par des étudiants plus jeunes sont les plus inspirantes et les plus déchirantes. « Soleil et ange souriant à un garçon à la main perdue » (2024) de Danielo Dimanche, 14 ans, soulève la question de savoir comment le garçon, vu avec un moignon de poignet ensanglanté, sa main détachée tombant dans un récipient en dessous, a perdu la main. Était-ce un accident ou une torture liée à un gang ? Malgré le sujet, Dimanche reste optimiste, représentant le soleil et un ange souriant à ce garçon.
Actuellement, Pierre Paul et la New Vision Art School ont un avenir incertain. Ils collectent des fonds pour déplacer l’école hors de la capitale et vers des régions rurales plus sûres. Dans ma correspondance avec Pierre Paul, il a exprimé sa profonde inquiétude quant à l’état d’Haïti et étudie les options pour partir « jusqu’à ce que les choses se calment ». Même si la survie et la sécurité des artistes sont plus urgentes que celles de l’école, elle a déjà montré des voies alternatives aux jeunes et sa pérennité ne peut que faire avancer sa mission. Son importance dans la fourniture d’un refuge aux enfants qu’elle sert est mieux mise en évidence par le texte de l’artiste Vaïna Ciaradjie St-Preux, 10 ans, qui accompagne son tableau lumineux et coloré « Reine Sirène amoureuse de l’école d’art New Vision » (2024) : « JE T’AIME NOUVELLE ÉCOLE D’ART VISION. »
L’art assiégé : l’art de Lesly Pierre Paul et les étudiants de son école d’art New Vision se poursuit à la Galerie Lakaye (1550 North Curson Ave, Hollywood, Los Angeles) jusqu’au 11 mai. L’exposition a été organisée par la galerie.