Par Patrice Dumont
L’année horribilis 2022 avait torpillé les dix ans de préparatifs de la célébration du 50e anniversaire de la Football Inter Club Association (FICA) fondée, en effet, par les Pères de Sainte-Croix du Collège Notre-Dame du Cap le 17 octobre 1972. Il n’en fut donc rien l’année dernière. Qu’à cela ne tînt.
Ce 14 octobre, Plus Petit Commun Multiple des disponibilités trouvées, presque tous, au tournant de 18 h, étaient venus, presque tous étaient là, à l’Hostellerie du Roi Christophe paré d’or, ou en ligne, d’Asie ou d ‘Amérique, d’Afrique ou d’Europe, piaffant de plaisir et de fierté, en même temps s’agaçant de frustration de devoir se contenter du virtuel pour un rendez-vous égal au serment d’Hannibal : les 50 ans du FICA.
On eût pu se croire témoin d’une de ces somptueuses soirées données au début du 19e siècle par le Roi Henry et la Reine Marie Louise à Sans-Souci. De toute façon, le gratin fiquiste et ses invités, près de 200 convives, pour de vrai, s’étaient donnés rendez-vous à cet hôtel, éponyme et ancienne propriété du Roi Christophe. Pas de Baron de Mompoint, mais son possible descendant Maître Mario Mompoint; pas de Louis Almanjor, cousin du Roi Christophe, mais fils possible descendant le maire-adjoint du Cap-Haïtien, Patrick Almonor (déformation de Almanjor) ; pas de Comte Bastien Jean-Baptiste, mais fils possible descendant Auston Jean-Baptiste; pas de Lieutenant-Colonel Prophète, mais son possible descendant Nathan Prophète, ancienne gloire du club; pas de Lieutenant-Colonel Célestin, mais ses possibles descendants les frères Édouard, Bernard, Serge Célestin, les deux derniers, authentiques légendes du club. Soit dit en passant, ils ne doivent pas être nombreux, d’autres cas de trois frères jouant en même temps dans une seule équipe. Ah, oui, en football féminin, les quatre sœurs Gauthier des Tigresses : Rose, Marie Antoinette, Jacqueline, Marie Louise, renforcées par une cousine germaine, la latérale droite Michèle Étienne. Les 11 ou 12 frères Bernadotte de l’Arcahaie, record absolu du genre, ne jouaient, cependant, qu’en championnat de vacances durant les années 60. Parmi les dames, pas de Reine Marie Louise Coidavid, mais une personnalisation générale de l’ élégance féminine. Et quiconque a eu la chance de converser avec un petit groupe de quatre jeunes femmes au moment du plaisir des victuailles ne peut que regretter que l’une ou l’autre n’ait été invitée à développer publiquement l’apport socio-sportif du FICA. au Département du Nord. C’est ce que firent sous des angles différents Docteur Michel Pierre, président en exercice du FICA, et Patrick Almonor, maire-adjoint.
Les deux comités organisateurs, le composé local d’Auston Jean-Baptiste, maître de cérémonie, Édouard Célestin, François Jules, chef de file de la deuxième génération de dirigeants; Mario Moscova, Paul André Sanon, Nathan Prophète, José Dieudonné, Hernz Calixte du comité des joueurs, avaient concocté un programme œcuménique prêt-à-porter pour l’aîné « ennemi héréditaire » ASC et le petit dernier, seulement 7 ans, Real Hope . Ainsi, le très jeune secrétaire général du Vieux Coq capois Benjy Oricia et celui du Real Hope, un peu moins jeune, Kénol Célicourt, décourent avec mesure, respect et bienséance sous les yeux du Docteur Anthoni Constant et de l’inspecteur Eddy Jules, respectivement ancien président sacrificiel et actuel vice-président asciste. En fait, rien d’étonnant si on suit le football capois depuis que le FICA a supplanté Vertières et Zénith comme principal rival de l’ASC, le respectable doyen ! Même au pic des derbys les plus chauds des années 90 qui prenaient par moment l’allure d’une lutte sociale, jamais la violence ne pollua le sportif. Les deux clubs étant génétiquement marqués par le prestige, l’un et l’autre semblent clamer comme Corneille « ne devoir qu’à eux seuls toute leur renommée et croire n’avoir point de rival auquel ils feraient du tort en le traitant d’ égal ».
Sons, paillettes, lumière, feux d’artifice, ne garantissent pas toujours le beau. De tout cela il y en eu au Gala du 50ème. Valeur de base : les discours étaient de bonne facture et la musique du quintette CEMUCHCA rythmée à faire danser une statue.
« Les plus beaux souvenirs sont ceux qui font souffrir, chante Patricia Lavila ». « Nostalgie, jamais tu ne m’as permis de sourire », renchérit Léon Dimanche. Ces apophtegmes ne conviennent pas au milieu sportif où l’on sait comment enjoliver ses fautes, adoucir ses douleurs et rendre l’aujourd’hui désagréable aussi agréable que le fut hier. Les bons souvenirs, eux-mêmes, sont l’ambroisie qui irrigue le bonheur des dirigeants, joueurs et fans. Aussi, n’y avait-il à la grande salle de réception de l’Hostellerie que joie et fierté inscrites dans l’ADN du club, confirmées par les victoires records de loin plus importantes que les déboires et, par NÉCESSITÉ, celles-là , fussent-elles minimes, antidote de ceux-ci.
Les célébrations décennales des grandes organisations servent donc à maintenir le feu sacré du lignage. Là, l’Histoire, science de la restitution du passé, le cède à la légende, histoire réelle embellie, et au mythe, histoire imaginaire. Le gala avait officiellement pris fin à 9 h. Il était minuit quand certains » DjoKannèl » en étaient encore à faire de Djobi Thélusma le plus grand ailier gauche haïtien, du FICA de Maître Toto Calixte la plus grande équipe des clubs haïtiens de tous les temps, de Jean Renaud Abellard aussi bon meneur de jeu que l’Argentin Redondo, gaucher comme lui, ou encore que si Maxime Auguste était resté au FICA sous la direction technique de Maître Toto Calixte, au lieu de jouer aux Vertières dont son père était le président, il aurait été un meilleur footballeur, au moins égal à Manno Sanon. Oui, les Fiquistes et leurs invités, comme les fans de football du monde entier, ont redit l’histoire du football. Le plus sérieusement du monde. En cela, l’allocution du psychiatre Serge Célestin, inoubliable attaquant du FICA de la première génération, de la Faculté de Médecine de l’UEH et du Violette, a été de l’Histoire pure, assez belle pour ne pas la charger des impedimenta. de la légende. Le docteur raconte que FICA a un propriétaire : le Collège Notre-Dame du Cap. Les prêtres Réal Charlebois et Yvon Joseph, principaux responsables de l’institution assistaient à la finale du championnat interscolaire de football du Cap-Haïtien en mai 1972 entre leur école et le Collège Pratique du Nord. À la mi-temps, subissant la loi de l’adversaire, 0-2, les deux prélats se précipitèrent auprès des joueurs et, ayant requis la parole de l’entraîneur, s’adressèrent aux acteurs en ces termes : « Si vous ne gagnez pas cette finale, aucun de vous ne sera épargné. Vous serez tous renvoyés de l’école ». Serge Célestin a ajouté que tous les joueurs crurent en la sincérité des propositions de leurs directeurs. Ils gagnèrent 3-2, deux buts concernaient Serge Célestin et le troisième de Jean Robert Thélusma.
Un tel fait d’armes méritait une suite qui parle à la postérité. Les Pères offrent une tournée sportive à l’équipe en République Dominicaine pendant les vacances d’été et, à la rentrée, le 17 octobre, ils réunient footballeurs et professeurs, dont Paul Calixte et Dudré Génard, pour leur annoncer la fondation du Football Inter Club (FIC). Vu que ce sigle identifiait déjà les Frères de l’Instruction Chrétienne, on s’empressa d’ajouter « A » pour Association. Comme par hasard, à l’exemple de l’A dans FIFA.
Les prêtres assumaient à un tel point leurs droits de propriétaires du club qu’ils prirent la disposition radicale de renvoyer tout élève footballeur prêtant leurs services à un autre club que la FICA. CND est FICA; FICA est CND. Ce point de règlement ( non écrit) devrait être appelé « La loi Maxime Auguste », élève du Collège Notre-Dame, parti jouer au Vertières, club de son quartier, présidé en plus par son père. Peut-être une part de légende : l’aîné des trois frères footballeurs Auguste – Eric le puîné et Alex le benjamin – ne fut pas renvoyé de Notre-Dame grâce à l’intervention discrète de Paul Calixte. C’est du FICA.
Ce 50ème anniversaire trouve le FICA emberlificoté comme les autres clubs haïtiens, dans la crise de dépérissement de la société haïtienne, comme le reconnaît l’inconditionnel fiquiste Stanley « Doudy » Jean-Mary, présent à la cérémonie. Tout le corps fiquiste sait que les fastes de cette célébration, si elles étaient importantes pour la grandeur du club, ne masqueront jamais sa dépendance à ce qui se passe à la FHF et dans le pays en général. Si seulement FICA était la FHF!
Patrice Dumont